Jean-Charles Tchakirian : le jeans, une affaire de famille
Jean-Charles Tchakirian : le jeans, une affaire de famille
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Chez les Tchakirian, le jeans est une histoire de famille. L’expression n’est pas galvaudée : en 1974, Avédis et Clara ouvrent leur première boutique de jeans de grandes marques, à Décines, près de Lyon. “Ma maman était couturière. Elle travaillait dans l’antichambre de la haute-couture. Elle avait un vrai savoir-faire. Mon père était tourneur à l’usine. Il savait mécaniser les choses, raconte Jean-Charles, leur fils. Ils ont vu arriver le jeans comme habit contestataire de l’époque. Avec cette jeanerie, l’idée c’était de s’en sortir socialement et professionnellement”. Rapidement, ils commencent à fabriquer eux-mêmes des jeans.
De mère et de père en fils
Le jeune Jean-Charles évolue entre les rouleaux de tissus, les bobines de fils et les machines à coudre. “La première fois que j’ai touché une surjeteuse [une machine qui sert à réaliser les finitions d’un textile, ndlr], j’avais 11 ans, se remémore celui qui en a aujourd’hui 58. Tous les soirs, en rentrant de l’école, j’allais donner un coup de main à l’atelier. Après le bac et l’armée, vers 1982, je suis entré dans l’entreprise familiale”. Au fil des années, celle-ci va sans cesse se renouveler, au gré de l’histoire économique du textile, de la signature d’accords commerciaux et de l’arrivée sur le marché de nouveaux pays concurrents. “Nous en sommes au 4ème modèle économique !”, souligne Jean-Charles.
La première fois que j’ai touché une surjeteuse, j’avais 11 ans !
Dans les années 1980, les Tchakirian deviennent aussi grossistes : ils produisent des pantalons pour d’autres marques. Au début des années 1990, “nos clients vont dans les pays de l’est de l’Europe pour fabriquer leurs jeans. Cela commence à être compliqué. La solution pour nous, c’est de s’expatrier au Portugal pour trouver des coûts de main d'œuvre moins importants et rester concurrentiels”, se souvient le chef d’entreprise. Il embarque ses machines dans un semi-remorque, et part vivre dans la péninsule ibérique. En 1996, son père disparaît prématurément : Jean-Charles plie bagage et rentre à Décines. Assez vite, un nouveau modèle économique se dessine. L’atelier est remis en route, “pour concurrencer les produits qui viennent d’ailleurs. Les clients m’amenaient les tissus le matin, le soir les collections étaient prêtes. Ce n’était pas du Made in France, mais du circuit court. Une mode rapide et éphémère”.
Au début des années 2000, l’entreprise doit faire face à la concurrence chinoise : “c’est un déferlement de cargos de fast-fashion”. Le début de la fin : “Mon client me sort un jeans et me dit “ça vaut 15 balles””. Jean-Charles doit vite tout arrêter, fermer l’atelier, “pour des raisons simplement comptables et économiques. Socialement et humainement parlant, c’était d’une violence assez inouïe”. Nouveau rebond, Jean-Charles devient distributeur de marques textiles pendant 15 ans. Mais la fast-fashion débarque aussi chez ses clients, des boutiques moyen et haut de gamme. Il doit faire une cessation d’activité.
Le Phoenix du jeans
La future idée germe à peu près à ce moment là : “Mon voisin vient me voir, et me demande : “et si tu faisais un jeans français ?”. Je lui réponds “tu te rends pas compte, le coût de la France…”. Il me conseille de m’y intéresser quand même. Je laisse filer. Un jour, il revient me voir, tout content, il veut me montrer un truc. Il me dit: “J’ai acheté un slip français!” Là-dessus, je vais voir le site, la philosophie, l’envie de revaloriser le savoir-faire français. Je commence à y réfléchir. On voudrait peut-être de nous à nouveau ?”.
Début 2018, il rencontre 60 000 rebonds, une association qui “aide les chefs d’entreprise à redémarrer, grâce à un ensemble d’experts bénévoles”. L’équipe va l’aider à mener à bien son projet de nouvelle marque de jeans. Jean-Charles commence à confectionner son prototype, renoue contact avec les tisseurs… Puis, en plus du Made in France, il va vouloir aller plus loin : “pendant la construction de mon dossier, je tombe sur une annonce de l’Ademe expliquant les quantités d’eau, d’engrais chimiques et de pesticides nécessaires pour produire 1 kg de coton. Je me suis dis que je ne pouvais pas faire un jeans comme on le faisait avant”. Sur les conseils de son tisseur, il commence à s’intéresser au lin, une plante à fleurs bleues qui pousse “dans un croissant de lune, de Caen à Amsterdam”, très écologique car elle se contente des eaux de pluie.
Lin normand
Peu à peu, Jean-Charles réussit à reconstruire une chaîne de production hexagonale. Tout commence dans des champs normands. “Le lin est arraché. Puis c’est le rouissage, le séchage et le teillage, la transformation mécanique, sans eau ni produit chimique, de la fibre de lin en filasse”. L’entreprise française Safilin, basée dans le Pas-de-Calais depuis 1778, transforme le tout en fils. Comme ses usines sont en Pologne, le lin vit son seul voyage européen pour l’étape de la filature. “98% de coût de revient est redistribué à des entreprises françaises, fibres inclues”, précise Jean-Charles. Les boutons et les rivets viennent en effet d’Allemagne.
Les fils prennent des couleurs à la Teinturerie de la Justice, à Roubaix, puis sont tissés par la société Muguet, dans la Loire. Enfin, “le tissu revient à Décines, où les jeans sont confectionnés”. Toujours dans le même atelier familial ! “Pour le nom de la marque, j’ai proposé Phoenix, parce que c’est la résurrection de notre activité. Mais les pros de la com m’ont dit que ça n’envoyait pas forcément un bon message”, rigole Jean-Charles. Alors ce sera Le Gaulois [mais Phoenix est tout de même le nom de la société de Jean-Charles, ndlr], un peuple “résistant, proche de la nature”.
Après une campagne Ulule très réussie pendant l’été 2019, la marque se lance et recrée des emplois. “J’ai compris qu’il y avait une vraie attente. Des mots des gens m’ont fait pleurer”, raconte Jean-Charles.
“Le jeans le plus propre du monde”
La pandémie de Covid-19 met un coup d’arrêt à cette dynamique, mais le chef d’entreprise est confiant pour le redémarrage. Il va arpenter les salons, finaliser la refonte de son site, et lancer de nouveaux produits dans les prochains mois et années : un jean avec un tissu 100% Made in France (Safilin est en train de relocaliser une partie de sa production !), une petite série de blousons en chanvre (après des tests concluants avec tous les acteurs d’une filière renaissante), un jean en lin et élasthanne recyclé… Mais aussi, le futur “jean le plus propre du monde”, impeccable dans ses moindre détails, sans doute commercialisé à la fin de l’année. “Ce sera un jeans signature, un message envoyé aux industriels et aux politiques : c’est le but à atteindre. On ne peut pas encore le populariser, mais voilà l’objectif, dans la chaîne de valeur la plus exigeante”, affirme Jean-Charles.
Aujourd’hui, Jean-Charles a le sentiment d’avoir pris une “revanche” sur les politiques économiques des décennies précédentes, “qui nous ont évincés d’un revers de la main. La révolte me quitte tout doucement, mais la cicatrice est là. Le consommateur final a compris qu’acheter est un acte militant, permettant de créer des emplois dans son pays. Si ça s’inscrit dans le temps, c’est une vraie barrière douanière naturelle”.
À 88 ans, Clara Tchakirian aide toujours l’entreprise. “Elle est émerveillée de voir ça. Je lui dis qu’on fait la même chose qu’elle dans sa boutique… Avec un site web marchand !” sourit le fils. De ses parents, il retient la persévérance et la clairvoyance : “Il m’ont appris à savoir lire le prochain modèle économique. Je les ai vus trouver des solutions. Ils ont toujours été des battants et n’ont jamais stagné”. Clara vit toujours dans sa maison, à deux pas. Elle leur rend visite et “transmet son savoir-faire”. Pour illustrer son propos, Jean-Charles tourne la webcam vers l’atelier : la couturière, habile et concentrée, assemble délicatement les pièces d’un jeans.
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